Une marque territoriale est (au minimum) portée, partagée, ancrée, nourrie, ciblée, exclusive…

Chargé de faire la synthèse de la rencontre « territoire ; une marque ? des marques ? »*, je commençais ce point final à la journée en constatant que les 247 (!) participants très studieux étaient certes venus avec des questions mais qu’en tout cas, ils repartaient avec des réponses. Cela grâce aux témoignages et interventions très complémentaires de praticiens et d’experts sans langue de bois**.

D’abord, il convenait de préciser que oui « le marketing territorial sert à vendre » exposait en introduction Philippe Buisson, maire de Libourne et porte parole du conseil régional. Par définition un marketing de marque a même pour objet de « vendre mieux » souligne Anne Palczweski. Cela ne s’applique donc qu’à des champs concurrentiels, pas à l’ensemble des politiques publiques. Les projets cités concernaient principalement trois sujets : le tourisme, l’attractivité vis à vis des entreprises, l’aide à la commercialisation des produits du territoire ou du terroir. Et dans ces domaines, les territoires sont en concurrence les uns avec les autres, à diverses échelles. En l’occurrence, vendre, c’est non seulement être choisi parmi d’autres possibilités, mais cela implique aussi une dépense de la part client. 

Portage et partage

De même que le marketing ne se réduit pas à la publicité, le marketing de territoire ne se réduit pas à une expression graphique ou publicitaire : selon une comparaison facile avec un iceberg, disons que seuls 15 % du travail se voit à l’extérieur et que l’oublier serait risquer de finir en Titanic. Une bonne partie – l‘essentiel – du travail se passe avant même de communiquer : le préalable est de définir réellement pourquoi et ce que l’on veut en faire, il s’agit de « cibler » son action insiste Jean-François Lanneluc. Le projet pour être fort doit être porté par les personnes en charge des intérêts collectifs des territoires, c’est à dire les élus qui en sont eux-mêmes les porte-étendards, les plus emblématiques d’entre eux devenant même des arguments promotionnels en tant que « monument municipal » pour Jean Petaux car « l’homme politique qui laisse sa marque devient lui-même une marque ». Une fois une volonté affirmée et le projet ciblé, s’ensuivent ou s’imbriquent plusieurs étapes : diagnostic approfondi aux instruments multiples, décrits par Denis Muzet et Jean de Catheu, qui donnent la part belle aux sciences molles (histoire, géographie, sémiologie, sociologie, philosophie, politologie, psychologie, étymologie, toponymie et même mythologie…), définition d’un positionnement, mobilisation des acteurs territoriaux, structuration et organisation de l’offre. Il s’agit pour le territoire de prendre conscience de ses forces et atouts, « d’exister avant de rayonner » selon Joëlle Goepfert.

Logos, labels et marques

Dès lors, « on peut faire de la communication, on peut faire du marketing, on ne fait pas forcément du marketing de marque » précise Georges Lewi car « une marque est promesse », elle est à la fois inclusive car « unificatrice » et « exclusive », au sens d’unique ; une marque ne se définit pas par rapport à une autre (ipso facto un territoire ne peut pas faire de sa position géographique une marque). Donc, ne pas confondre labels, bannières, signatures, slogans, logos, etc. avec une marque de territoire Ce petit rappel conceptuel était nécessaire à l’heure où l’effet de mode entraîne une certaine confusion des genres.

Temps et épaisseur

Le temps est indissociable de la marque. Il est d’ailleurs intéressant de comparer la pérennité de marques fortement intégrées dans nos inconscients – j’ai cité et montré les exemples de Coca Cola ou de La Vache qui rit – à la valse des logos des collectivités étonnamment sensibles aux modes.  Il faut donc du temps à la marque pour se bâtir car elle n’est pas seulement expression, « c’est une narration » pour Denis Muzet, « c’est une construction » pour Bernard Emsellem, c’est un travail sur les « aspirations convergentes » pour Xavier de Catheu, dimension que prolongent Anne Palczweski et Jean-Baptiste Etcheto qui n’envisagent ces démarches qu’à travers la « co-construction » et la « force du collectif ». Cette réalité d’élaboration commune se vérifie non seulement entre les acteurs eux-mêmes mais aussi avec les récepteurs qui « ne se contentent plus de recevoir les messages mais intéragissent » souligne Loukouman Hamidou Et en réponse à une question sur la difficulté d’avancer de façon collective – et même participative -, Jean-François Lanneluc redit l’importance de la définition préalable car « il est plus facile de se mettre d’accord à vingt quand on sait quel est l’objectif, qu’à trois quand on ne sait pas où on va ».

Valeurs et valeur

Plus ambitieuse et exigeante qu’une campagne, signature ou opération ponctuelle aussi importante soit-elle par ses moyens, la construction d’une marque est une démarche qui doit être ancrée dans la réalité tangible et intangible du territoire, dans « ses valeurs partagés » rappelle Denis Muzet ; elle « renvoie à un projet de territoire, de valeurs et de création de valeur » pour Jean-Baptiste Etcheto. Très prosaïquement, il souligne le fait que « la marque est une protection » en étant pilotée de façon professionnelle pour ceux qui entrent dans la démarche (cette dimension est attestée par le glissement de l’usage du mot label à celui de marque-ombrelle). Notons au passage que cette dimension prend une acuité toute particulière dans les territoires dont les noms existent depuis des centaines ou des milliers d’années car pour beaucoup d’entre eux des dizaines voire des centaines de marques commerciales déposées préexistent souvent à leur propre prise de conscience en la matière***; le triste exemple du village de Laguiole qui n’arrive pas à se rendre maître de son nom est éclairant****. La marque peut et doit être gérée car elle-même acquière de la valeur. A ce titre, elle « peut être valorisée » comme le rappelle Isabelle de Rotalier Guillou qui souligne la « spécificité des marques publiques ».

Nous sommes dans une société d’hypermédiatisation, d’hypercommunication et d’hyperpublicité. « La moitié de notre temps de veille consiste à avoir un rapport au monde à travers des écrans » d’ordinateur ou de télévision rappelle Denis Muzet. Nous percevons 350 publicités et recevons jusqu’à 15 000 stimulis commerciaux chaque jour****. Dans ce contexte de brouhaha ambiant, les territoires ont tout intérêt à communiquer ; il leur faut structurer et organiser leur expression. C’est le sens et l’enjeu d’une démarche de marketing territorial que nous réussirons forcément mieux après cette journée d’échanges. Pour ma part, j’ai partagé la conviction qu’une marque territoriale est (au minimum) portée, partagée, ancrée, nourrie, ciblée, exclusive…

* organisé le 26 octobre 2012 par l’association Communication publique et le conseil régional d’Aquitaine, en partenariat avec : APACOM, Sciences Po Bordeaux, Efap Bordeaux, CNFPT.

**  Les intervenants : Bernard Emsellem (président de Communication publique, directeur délégué de la Sncf), Denis Muzet (président de l’institut Médiascopie), Joëlle Goepfert (directrice de cabinet et de la communication de la communauté d’agglomération Orléans Val de Loire), Anne Palczweski (directrice adjointe de l’AAPRA, association aquitaine de promotion agroalimentaire), Jean-Baptiste Etchteto (président du conseil de développement du Pays Basque), Jean-François Lanneluc (directeur de la communication de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg), Xavier de Catheu (directeur de Image & Stratégie), Georges Lewi (mythologue, spécialiste des marques, voir son blog : www.mythologicorp.com), Loukouman Hamidou (directeur de Mediaventilo), Isabelle de Rotalier Guillou (chef de projet marketing à l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat), Jean Petaux (politologue, professeur à Sciences Po Bordeaux), Charles-Marie Boret (consultant, spécialiste de communication publique).

Animation par Corinne Descours (directrice de la communication du conseil régional d’Aquitaine) et par Philippe Deracourt (délégué général de Communication publique).

*** Une rapide recherche sur le site de l’INPI, institut national de la propriété industrielle, fait état de 9866 marques déposées incluant le nom de Paris, 1070 celui de Bordeaux et 685 celui de Champagne.

*** http://blogs.mediapart.fr/blog/friture-mag/051012/laguiole-appellation-d-origine-incontrolee

****  Source : ETOPIA, centre d’animation et de recherche en écologie politique, http://www.etopia.be/spip.php?article569  

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